L’évolution de l’Union européenne (UE) en a fait un acteur important dans les configurations de pouvoir et la dynamique politique du Moyen Orient. Dans le cas du conflit israélo-palestinien, la politique de l’UE a été inconsistante et incohérente.
Malgré de nombreuses déclarations condamnant les violations par Israël du droit international, l’UE continue à coopérer avec Israël dans des domaines variés : science et technologie, transports (Espace aérien commun (EAC)), agriculture, navigation par satellite (Galileo) et services de police (EUROPOL). En accordant explicitement un tel soutien à Israël malgré ses nombreuses violations du droit international, reconnues internationalement, l’UE se fait complice de ces violations. Par exemple, parmi les bénéficiaires des bourses de recherches de l’UE et donc de l’argent de ses contribuables, figurent Aerospace Industries (IAI), l’entreprise publique qui fabrique les drones israéliens et des produits pour les champs de bataille, et Elbit, une compagnie critiquée pour sa participation au renforcement du contrôle israélien sur les territoires occupés et pour avoir fourni des technologies de surveillance pour la barrière de séparation israélienne en Cisjordanie. De fait l’UE et ses États-membres échouent à mettre en pratique le droit international, à promouvoir le droit des Palestiniens à l’auto-détermination, à faire usage d’une juridiction universelle et à faire respecter le droit européen.
L’échec de la communauté internationale à demander des comptes à Israël, l’échec de l’UE et de ses États-membres à respecter les dispositions pertinentes de sa propre constitution – qui affirme pourtant l’engagement de l’UE à respecter les droits et libertés fondamentaux — ont poussé la société civile européenne à intervenir et à agir pour obtenir un changement de politique.
Le comité de coordination européen pour la Palestine (ECCP) est la plus grande coalition européenne issue de la société civile en faveur des droits palestiniens ; elle est composée de 46 organisations non gouvernementales (ONG), de syndicats et d’associations de 20 pays européens. Nous travaillons en collaboration étroite avec une large gamme de partenaires, incluant des organisations palestiniennes, le mouvement global de solidarité avec la Palestine et des organisations israéliennes de défense des droits de l’homme, comme les Anarchists Against the Wall (Anarchistes contre le Mur), le Boycott from Within (Boycott de l’intérieur) et The Israeli Committee Against House Demolitions (Comité israélien contre les démolitions de maisons). L’ECCP soutient et a signé l’appel de 2005 du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions).
Notre but est d’encourager l’UE à adopter des mesures effectives pour garantir le respect des droits palestiniens, l’adhésion au droit international et la fin de l’impunité d’Israël pour ses violations et ses crimes. Nous exerçons donc des pressions sur les différents groupes et partis afin qu’ils intègrent la question des droits palestiniens lorsqu’ils discutent d’accords passés ou en négociation entre l’UE et Israël. Pour cela, nous assistons aux réunions des comités ; nous fournissons des informations précises aux membres du Parlement européen et aux autres agents de l’UE ; nous publions des prises de position en direction du grand public et des organes de l’UE, du cabinet de Catherine Ashton (Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) et des médias ; nous lançons des campagnes publiques afin de réduire la collaboration de l’UE avec Israël; et nous promouvons une culture des droits et responsabilités en organisant des séances publiques au Parlement européen.
Plus précisément, nos campagnes récentes et en cours visant l’UE incluent :
– une campagne publique contre l’Accord sur l’évaluation de la conformité et l’acceptation des produits industriels (ACAA) signé entre l’UE et Israël en 2011. Avec des milliers d’ONG qui ont rejoint la campagne, les participants, ainsi que des défenseurs des droits de l’homme, ont envoyé plus de 50000 messages à leurs représentants au Parlement européen ;
– une campagne pour la suspension de l’accord d’association entre l’UE et Israël, qui accorde à Israël des tarifs favorables pour l’exportation de produits vers l’UE. L’article 2 de l’accord exige sa suspension en cas d’abus contre les droits de l’homme ;
– une campagne pour l’interdiction dans l’UE des produits issus des colonies et des compagnies israéliennes qui les exportent. Les directives de juillet 2013 de l’UE sont un résultat de cette campagne et une première étape dans la bonne direction (voir ci-dessous) ;
– un appel pour l’embargo de l’armement européen d’Israël, soutenu par le Réseau européen contre le commerce des armes (European Network Against Arms Trade) ;
– une campagne contre le recours à la société G4S [entreprise internationale controversée pour ses activités dans les prisons israéliennes] pour les contrats de sécurité dans les bâtiments de l’UE, suivant une décision de l’UE de ne pas renouveler un précédent contrat avec G4S en avril 2012 ;
– des campagnes contre la revalorisation des relations économiques entre l’UE et Israël et des subventions européennes aux programmes de recherche israéliens, comme Horizon 2020, en particulier contre l’inclusion de compagnies israéliennes impliquées dans les colonies ou d’autres violations du droit international.
Directives de l’UE sur le financement
En juin 2013, la Commission européenne a publié dans le Journal officiel de l’UE ses « Directives pour l’éligibilité des entités israéliennes et de leurs activités dans les territoires occupés par Israël depuis juin 1967, en ce qui concerne les bourses, prix et instruments financiers subventionnés par l’UE à partir de 2014 ». Le document stipule que tout accord futur entre Israël et l’UE devra inclure une clause spéciale affirmant clairement que les colonies israéliennes dans les territoires occupés en 1967 ne font pas partie de l’état d’Israël et de ce fait ne sont pas inclus dans les accords entre Israël et l’UE.
Les nouvelles directives excluent toute entité israélienne ayant une activité dans les territoires palestiniens et syriens occupés de la participation aux instruments financiers de l’UE, comme les prêts. Parmi les entités exclues de ces prêts de la Banque d’investissement européen figurent des banques israéliennes importantes, comme la banque Hapoalim, la banque Mizrahi Tefahot et la banque Leumi, parce qu’elles opèrent illégalement dans les territoires palestiniens et syriens occupés, y compris en ayant des branches dans les colonies israéliennes illégales.
Pour la première fois, l’UE a adopté une position concrète en déclarant que des compagnies ou des institutions opérant dans les colonies israéliennes ne seront pas éligibles pour des subventions de l’UE. Ils y ont mis le temps !
Les directives ne constituent cependant pas une obligation pour les États membres. Ce sont plutôt de simples recommandations. Cependant, si elles sont appliquées, des instituts universitaires ou gouvernementaux, ainsi que de nombreuses compagnies israéliennes et internationales, cesseront de recevoir des subventions de l’UE tant qu’ils maintiendront leurs activités dans les territoires occupés.
Ces Directives constituent une étape importante en ce qui concerne la politique de l’UE vis à vis d’Israël ; mais l’UE demeurera profondément complice de l’apartheid imposé par Israël, même si ces directives sont complètement appliquées. L’accord d’association entre l’UE et Israël garantit à Israël des arrangements commerciaux préférentiels et une participation aux programmes de l’UE. Le fait que cet accord est maintenu en dépit des violations constantes par Israël des droits des Palestiniens témoigne du consentement de l’UE à ce qu’Israël demeure impunie. De plus les nouvelles directives n’empêcheront pas les entreprises militaires israéliennes de recevoir des subventions de l’UE, ni les universités israéliennes d’obtenir des financements, malgré leur implication dans la recherche militaire et les projets de développements d’armes.
Ces mesures censées prendre effet au premier janvier 2014 sont extrêmement tardives, si l’on considère que l’UE a déjà déclaré que les colonies israéliennes des territoires palestiniens et syriens occupés sont illégales, qu’elles violent le droit international et contreviennent aux décisions des Nations Unies et de l’UE.
En dépit de telles décisions et d’une position prise de longue date sur l’illégalité des colonies, l’UE continue à importer des produits provenant des colonies israéliennes. Fait encore plus surprenant : deux semaines avant la publication des Directives du 5 juillet 2013, l’UE a accordé une subvention à Ahava – une société israélienne de cosmétiques d’une colonie de Cisjordanie occupée, contribuant ainsi au délit de pillage. Sous l’égide de cet accord de subvention de l’UE, Ahava va coordonner le projet de recherche Super-Flex sur les produits cosmétiques. Plus de 6 millions d’euros (8 millions de dollars) du budget de ce programme viennent de fonds européens.
Les Directives elles-mêmes sont nettement insuffisantes pour inciter Israël à mettre fin à ses implantations, voire même à limiter leur expansion. Mais ce qui est important, c’est le fait que sous la pression des organisations de la société civile, l’UE a reconnu l’illégalité du régime israélien d’occupation dirigé contre le peuple palestinien et la nécessité de mettre un terme à certains aspects de sa profonde complicité dans le maintien de ce système illégal.
Avant la reprise de « pourparlers de paix », l’UE a émis des Directives concernant les entreprises, incluant l’étiquetage des produits, dont la publication était prévue fin 2013. Actuellement, la position officielle de l’UE est qu’il n’y aura pas d’adoption d’une nouvelle position avant la fin des négociations.
Vers un boycott
Contrairement à ce qu’avancent les média grand public en Europe, les directives ne constituent pas un boycott des colonies israéliennes. Ces recommandations exigent en pratique que toutes les entités exerçant en Israël et en dehors des frontières de 1967 fassent une distinction entre les colonies et Israël. Bien que les déclarations officielles de l’UE réaffirment leur position contre des sanctions imposées à Israël, nous avons pu constater en mars 2013 que 23 membres du Parlement européen de différents partis politiques ont interpelé Catherine Ashton, la Commissaire européenne à la politique étrangère, afin qu’elle suspende l’accord d’association UE-Israël. Voici ce qu’ils lui écrivaient : « La poursuite de l’autorisation de la colonisation du gouvernement israélien de même que plusieurs actes de violations des droits humains abondamment documentés par les Nations Unies et les organisations internationales de droits humains, sont en violations des engagements pris par Israël dans l’article 2 de l’accord ».
Fait encore plus intéressant, la lettre a été initiée par des membres du Parlement européen appartenant à l’ALDE (Alliance des Libéraux et Démocrates pour l’Europe) qui avaient voté l’an dernier en faveur de l’ACA UE-Israël (Accord relatif à l’évaluation de la conformité et l’acceptation des produits industriels).
Des organisations de la société civile et des droits humains ont travaillé dur avec les militants de la campagne BDS au cours des dernières années pour informer et convaincre les représentants officiels de l’UE sur la complicité de l’UE dans la violation par Israël du droit international et des droits humains des Palestiniens. Il était particulièrement important de fournir aux conseillers politiques et aux représentants officiels d’Israël et de la Palestine dans les institutions européennes, des rapports récents et des analyses d’organisations palestiniennes comme Al Haq et d’autres, rapports qui montrent l’impact des accords commerciaux UE-Israël sur les droits humains en Palestine. D’un autre côté, nous avons coopéré avec des juristes qui nous ont aidés à convaincre les représentants de l’UE que le soutien continu de l’UE aux sociétés israéliennes et internationales impliquées dans l’occupation est en contradiction avec le droit de l’UE lui-même. Des actions et manifestations contre la coopération de l’UE avec les sociétés profitant de l’occupation israélienne telles que G4S, Veolia et d’autres, démontrent que les organisations de la société civile s’opposeront systématiquement au soutien de l’UE à ces sociétés.
Les organisations de terrain de la société civile forcent l’UE à reconnaître sa responsabilité juridique dans la cessation des liens avec le régime israélien d’occupation et d’apartheid vis-à-vis du peuple palestinien et aussi à reconnaître sa complicité dans le maintien de ce système illégal.
Un des enjeux pour les organisations de la société civile est de faire pression sur l’UE pour qu’elle mette en œuvre sa propre législation à l’égard des accords avec Israël et des entreprises militaires qui profitent de l’occupation. Des directives devraient aussi être adoptées de manière à mettre fin à la politique européenne d’attribution de fonds de recherche à des sociétés militaires israéliennes comme Elbit Systèmes, qui testent leurs systèmes sur les Palestiniens. Le complexe militaire israélien fournit l’armement et la technologie qui permet à Israël de commettre des atrocités et des violations quotidiennes des droits humains. Quant au domaine commercial, par exemple, le simple étiquetage des produits des colonies est insuffisant. Les produits des colonies devraient être interdits sur le marché européen. La prochaine étape, pour les organisations de terrain et de la société civile devrait être une campagne européenne appelant l’UE à lancer une interdiction des produits des colonies. De plus, il nous faut encore voir comment les directives vont être mises en œuvre.
Tandis que se poursuivent les négociations sur la participation d’Israël au programme Horizon 2000 de 70 millions d’euros de financement de la recherche, Israël et ses alliés ont fait tout ce qui était en leur pouvoir en matière de pression sur l’UE pour reporter ou ne pas appliquer les Directives. En signe de protestation, un groupe de 51 membres du Parlement européen a écrit à Catherine Ashton, la Commissaire européenne aux affaires étrangères, dernier appel en date auprès de l’UE pour ne pas édulcorer les nouvelles Directives qui prohibent la reconnaissance par l’UE de la souveraineté d’Israël sur la Cisjordanie et sur la bande de Gaza. Dans cette lettre, les parlementaires, de différents bords politiques, expliquent qu’ils « sont convaincus que les colonies israéliennes ne devraient pas profiter de l’argent des contribuables européens ».
Aujourd’hui, il est important que nous fassions pression sur les députés européens et sur la Commission européenne pour nous assurer que les Directives sont pleinement et correctement appliquées. De plus, nous devons contrôler le futur accord UE-Israël pour agir en temps voulu contre tout rehaussement des relations économiques UE-Israël.
La société civile, les militants du BDS inclus, devra continuer à jouer un rôle important dans la veille sur l’application des Directives et dans la pression à exercer pour l’exclusion des fonds européens de toute entité israélienne inéligible à ces fonds. Nous devrions aussi travailler à obliger l’UE à reconnaître que l’apartheid israélien est le système en vigueur des deux côtés de la ligne verte de 1967. Enfin, l’UE a la responsabilité de faire reconnaître les violations des droits humains perpétrées par les organismes publics et privés israéliens contre les citoyens palestiniens d’Israël et contre les réfugiés palestiniens. Cette reconnaissance devrait se manifester par la réduction de la complicité de l’UE et par l’adoption d’instruments coercitifs de nature à interdire effectivement tout produit fabriqué, cultivé ou emballé dans les colonies israéliennes sur le marché européen ainsi que par l’arrêt de tout subventionnement de recherche de sociétés militaires israéliennes.
– coordinatrice du Comité de Coordination Européen pour la Palestine
Article publié dans Al-Majdal de Badil.
(Traduction CG et SF pour BDS France. 3 novembre 2013.